Je reprends ici.
Envole-toi dans mes mots Malice. Soigne mes maux.
Conte-moi une histoire.
Tous les étés, tous les Mercredi et Samedi, je passais mes après-midis avec la même personne. A cette époque j'allais à la messe tous les Dimanche. Et je voulais être fleuriste. La personne qui passait ses après-midis en ma compagnie, s'apelle Lucie. Elle était petite, pas mince, et joyeuse. Les gens du quartier ne l'aimait pas beaucoup. Et les soirs d'hiver, ses parents invitaient les miens à jouer à la Belote. Lucie et moi en profitions pour nous cacher sous les draps pendant que Marie nous cherchait. Ouai, je me souviens. L'odeur de cette maison me glisse entre les doigts. Tout avait un goût, la pâte à modeler et les culottes à changer. Et un beau jour, tout se brise, on traverse un grand miroir et on se retrouve de l'autre côté. Celui que l'on voyait comme un grand frère devient un danger, pas le droit de lui parler, de lui dire bonjour, et même de l'approcher. Il faut bien fermer toutes les portes à clef et suivre les recommandations de PapaMaman à la lettre. La distance Lucie-Moi devient de plus en plus grande, celle qui se cachait derrière mon ombre n'est plus que loin de moi. Les cris de son père recouvrent sa voix trop timide. Elle souffle désormais ses secrets à celle qui l'écoute le mieux et qui ne dira jamais rien, sa poupée. Je m'étale contre le carelage trop froid et comprends alors que c'est la dernière fois. La dernière tournée de gauffres au Nutella, les derniers rires emmêlés, la dernière fois que je suis le Papa et elle la Maman, la dernière fois que je m'installe sur son bureau en courant après le temps pour l'attraper, le retenir, et le serrer contre moi, pour l'étouffer, le stopper. C'était la dernière fois que je voyais cet homme trop saoul pour se poser des questions sur l'avenir de ses enfants. Lucie sera une bonne Maman, je le savais, c'est quelque chose que l'on sait. Même sa poupée avait l'impression de renaître dans ses bras. Moi, je me voyais fleur parmis les fleurs.
Aujourd'hui, je n'approche toujours pas du grand-frère et c'est avec crainte que j'entre dans cette maison. J'y retrouve l'odeur, le carelage froid et les inscriptions sur la porte des toilettes. C'est l'enfance qui revient. Non sans peur. Mes souvenirs se mélangent au champagne, et ma tisane glisse jusqu'au fond de ma gorge. Tout va bien. Je n'adresse la parole à personne, sauf à l'Homme. Celui qui parle pour Tous. Sa voix caverneuse remplie mes oreilles sans crainte de rien, je connais tout ça. J'ai connu. Il rit à pleines dents et je lui rends son sourire. Parce que j'ai appris, à rire lors d'une blague, à se taire quand il faut et ne pas répondre à côté de la plaque, j'ai appris à regarder dans les yeux même les plus terribles. Tout ça je sais, retenir mes larmes qui s'émoustillent au fond de la gorge. Bientôt mes petites, bientôt. Lucie deviendra fleuriste. C'est sûr, Lucie sera cette fleur parmis les fleurs. Lucie réalisera mon rêve de gamine. Il n'y avait qu'elle qui pouvait le faire finalement. Et ce soir, entre deux coupes de champagne, elle parle d'oiseaux de paradis et de serre en verre plus chaleureuse qu'en plastique, et les mots deviennent vite étrangers, elle continue de conter sa vie. Elle a l'air heureuse, elle a l'air bien. Mon rêve de gamine se concrétise en elle.